La victoire au Mans du moteur rotatif
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La victoire au Mans du moteur rotatif

Légende Japonaise

Parmi toutes les autos qui ont remporté les 24 Heures du Mans, certaines ont laissé une trace indélébile dans l’esprit des passionnés. Dans ma sélection – purement subjective et j’assume-, on retrouve ainsi la Ford GT40, la Matra MS670 et son légendaire V12 (je vous recommande à ce sujet de relire le superbe article de Quentin sur l’épopée de Matra en sport auto), la redoutable Porsche 917, ou encore la Peugeot 905.

Des autos légendaires, mais pourtant toutes surclassées à mes yeux par le modèle qui nous intéresse aujourd’hui : la Mazda 787B. Comme beaucoup, je l’ai découverte dans Gran Turismo, avant d’avoir la chance de l’approcher (et de l’entendre !) à Le Mans Classic en 2014. Première Japonaise à remporter les 24 Heures du Mans, c’est aussi la seule voiture à l’avoir fait avec un moteur rotatif. Retour sur l’histoire de cette légende.

Un moteur pas comme les autres : le moteur rotatif

Complètement disparu du paysage automobile actuel, le moteur rotatif (moteur à piston rotatif pour les plus pointilleux) était pourtant très prometteur à l’origine. Né dans l’esprit du célèbre Docteur Félix Wankel, ce moteur prend son envol dans les années 50, lorsque Wankel signe un accord de coopération avec le constructeur NSU.

Félix Wankel

Sur le papier, le moteur rotatif cumule les avantages : très simple dans son mode de fonctionnement, il ne comporte qu’une vingtaine de composants principaux, contre près de 10 fois plus pour un moteur « classique » à pistons. Dans les faits, le moteur rotatif est dépourvu des cylindres et pistons des moteurs classiques. A la place, il dispose d’une chambre en forme ovoïdale (le stator) dans laquelle tourne un rotor en forme de triangle.

Il permet donc de limiter l’encombrement du moteur, et par la même occasion son poids. Son rendement est aussi meilleur, et l’absence de pièces en mouvement alternatif limite de façon drastique les vibrations (et le bruit), avec une douceur de fonctionnement incomparable, surtout par rapport aux moteurs de l’époque.

Vu interne d’un moteur rotatif Un moteur prometteur, mais…

Autant de qualités prometteuses qui font qu’au début des années 60 plusieurs constructeurs achètent le brevet du moteur rotatif, dont Citroën, Daimler-Benz, Mazda, puis Audi. Malheureusement, très peu de voitures de série recevront un moteur rotatif. Il faut dire que le développement du moteur est très coûteux, et que son étanchéité est difficile à assurer. Et le choc pétrolier des années 70 ne va rien arranger : le moteur rotatif est en effet gourmand en carburant (et en huile). Tous les constructeurs s’en détournent donc progressivement, sauf un : Mazda.

Un irréductible du rotatif : Mazda

La firme d’Hiroshima lance ainsi son premier modèle de série à moteur rotatif en 1967 : la superbe Cosmo Sport 110S, ancêtre des coupés sportifs RX-7 et RX-8, disposant eux aussi d’un moteur rotatif.

La Mazda Cosmo Sport 110S

Afin de promouvoir cette solution technique, Mazda décide même de se lancer en sport auto avec le moteur rotatif. Et le succès est au rendez-vous : une Cosmo se hisse ainsi à la quatrième place de la course « Le Marathon de la Route » en 1968. Pour l’anecdote, cette course se courait alors sur le mythique circuit allemand du Nürburgring pendant 84 heures (!).

Une Cosmo 110S au Marathon de la Route 1968

Continuant sur sa lancée, Mazda souhaite passer à la vitesse supérieure dans les années 80, et se lance donc dans la discipline le plus difficile du sport auto : l’Endurance. Le prototype 717C prend ainsi le départ des 24 Heures du Mans 1983, et les années qui suivent, Mazda améliore sa formule, avec les 727C, 737C, 757, 767 et 767B, et enfin les 787 et 787B.

La Mazda 727C24 Heures du Mans 1991 : préparatifs et qualifications

Au début des années 90, les heures du moteur Wankel en compétition auto sont comptées. La FISA (l’instance internationale qui réglemente le sport auto) annonce en effet que le moteur rotatif sera banni des courses à compter de 1991. Après pourparlers, Mazda arrive finalement à obtenir l’autorisation d’aligner une dernière fois ses autos au départ des 24 Heures du Mans 1991, pour ce qui ressemble alors à un baroud d’honneur.

Evolution de la 787, la 787B est donc l’auto de la dernière chance. Tout est fait pour éviter l’échec cuisant de l’édition 1990, où les deux Mazda 787 engagées par Mazdaspeed doivent abandonner sur panne mécanique. Son empattement est légèrement plus long (l’auto mesure 4,78 m de long), ses voies sont élargies à l’arrière, et le refroidissement et l’aérodynamique sont revus. La monocoque de la 787B est en carbone et kevlar, tandis que ses panneaux de carrosserie sont en fibre de carbone. Au final, l’auto ne pèse que 830 kg.

Le moteur (R26B de son petit nom) est lui aussi revu. Ce quadri-rotor atmosphérique dispose pour le coup d’une admission variable en continu, et il est associé à une boîte de vitesse manuelle à 5 rapports signée Porsche. Le moteur développe 900 ch dans sa configuration initiale, mais les ingénieurs Mazda décident de réduire sa puissance à 700 ch (et 607 Nm de couple), afin de favoriser sa fiabilité.

Le moteur R26B de la 787B

Si les performances de la 787B sont stratosphériques pour le commun des mortels (350 km/h en vitesse de pointe, et 2,5 secondes pour le 0 à 100 km/h…), les redoutables Sauber-Mercedes C11 se montrent plus rapides.

La Sauber-Mercedes C11

Mazda aligne deux 787B et une 787 au départ de la course. La direction de la team est assurée par le Français Hugues de Chaunac. Les Mazda devront se frotter à de redoutables concurrentes : outres les 3 Sauber-Mercedes archi-favorites, les Jaguar XJR-12, Porsche 962 ou Peugeot 905 sont bien décidées à jouer des coudes. Au total, 38 voitures participent à la course.

La 787B numéro 55 avec sa mythique lignée verte/orange est pilotée par le trio Bertrand Gachot, Johnny Herbert et Volker Weidler, et la numéro 18 (livrée blanche) par Yoshimi Katayama, Dave Kennedy et Stefan Johannson. Pour cette 59ème édition, le circuit de la Sarthe a connu d’importants travaux, et notamment l’ajout de deux chicanes dans la ligne droite des Hunaudières.

Malheureusement pour la marque Japonaise, les 787B ratent leurs qualifications, à tel point que la meilleure ne décroche que la 19ème place sur la grille !

Les deux 787B24 Heures du Mans 1991 : La course

En course toutefois, les autos remontent progressivement au classement. A la quatrième heure de course, la numéro 55 remonte au 7ème rang, puis à la 4ème place dans la nuit, bien aidée par de très bon calculs de consommation, qui permettent d’utiliser l’auto dans sa plage optimale de fonctionnement. Les ravitaillements sont donc moins nombreux, et sur une course de 24 Heures, c’est un point important, pour ne pas dire crucial.

Cette même 787B #55 profite des problèmes techniques de deux des trois Sauber pour se hisser à la deuxième place, derrière l’indéboulonnable Sauber C11 #1, qui continue de largement dominer la course.

C’était sans compter sur ce qui a toujours fait le sel des 24 Heures du Mans : les rebondissements. A moins de 2 heures de la fin de la course, la Sauber C11 #1 connait des problèmes moteurs (chauffe) qui l’obligent à s’arrêter aux stands pendant près de 30 minutes. En cause : une bête patte de l’alternateur qui s’est cassée, brisant par la même occasion une courroie de pompe à eau. Les 24 Heures du Mans sont parfois cruelles…

La 787B #55, moins rapide mais d’une fiabilité ferroviaire, prend alors la tête de la course. A son volant, le britannique Johnny Herbert est survolté : il enchaine 3 relais de suite !

A 14 heures, le drapeau à damiers est abaissé : la Mazda #55 remporte la course ! Epuisé et déshydraté, Herbert ne montera pas sur le podium : il fait un malaise, et est conduit à l’infirmerie.

Après des années d’efforts et de persévérance, Mazda prouve que le moteur rotatif est capable de remporter la course la plus difficile au monde. Au final, et malgré son léger déficit de performances, l’auto se rattrape avec sa fiabilité, et chose plus étonnante sa consommation maitrisée. Pour la petite histoire, des ingénieurs de la marque ont démonté le moteur de la #55 après la course, et ils ont décrété que l’auto était à même de repartir pour une nouvelle course de 24 Heures après une simple vidange ! Pas mal après une course de plus de 4.900 km, surtout à 205 km/h de moyenne !

Epilogue

Aujourd’hui, la 787B #55 coule une paisible retraite au musée Mazda à Hiroshima, et on la revoit assez régulièrement pour des courses historiques. Mazda lui a même offert une restauration, et l’auto était ainsi présente à l’édition 2011 du Mans Classic (pour célébrer les 20 ans de sa victoire), avec un certain Johnny Herbert au volant.

La 787B #55 au musée MazdaEn provenance directe de nos archives : la 787B #55 au Mans Classic 2014

Quand au moteur rotatif, il a été commercialisé jusqu’en 2012, sa fin coïncidant avec l’arrêt de la production de la RX-8 (et j’avoue que cette idée me rend très triste).

La Mazda RX-8

Avec les normes actuelles drastiques sur les émissions de CO2, on pensait qu’on ne le reverrait plus jamais. Mais Mazda pourrait bien (une nouvelle fois !) nous contredire : la marque envisage en effet de se servir du moteur rotatif en guise de génératrice dans ses modèles électriques, afin de recharger en roulant les batteries. Un joli pied de nez pour un moteur qui a décidément plus d’un tour dans son sac…

La 787B en vidéos

Quelques vidéos pour finir cet article, et profiter de la sonorité absolument folle de la 787B (pour l’avoir entendue en vrai, vous pouvez me croire sur parole) :

Johnny Herbert au volant de la 787B au Mans Classic 2011 :

Une excellente vidéo qui résume l’histoire de la 787B :

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